Dansons sous la lune (PV Kira)

Le soleil se couchait et j’observais la lumière disparaître à travers les fenêtres de cristal de mon immense manoir. Celui-ci était bien trop grand pour une seule personne, alors je l’avais peuplé de serviteurs, d’esclaves, de prisonniers. Les douces lamentations venant de mon garde-manger, donjon sous-terrain spacieux et très bien aménagé, étaient une douce berceuse à ses oreilles. Je n’aime pas partager, mais il faut bien nourrir tout mon personnel. Bien entendu, j’emploie aussi des humains – volontaires pour la plus part – sous la douce promesse de les laisser devenir l’un des nôtres. Un pur mensonge, bien entendu. Faut-il vraiment que nous ajoutions des êtres au sang impur à notre race noble? Il y a assez d’éléments perturbateurs en ce moment, nul besoin d’empirer notre réputation déjà souillée. Dire qu’autrefois, nous étions adulés, presque divinisés…

Depuis cette stupide famine et ces idiots de traîtres, ces bâtards, nous nous faisons la guerre entre frères. Bien entendu, ça nous donne une raison d’épurer un peu notre race des animaux et des brutes. Nous sommes des êtes au goût raffiné, bien que dominé par nos instincts et nos désirs. Nous ne sommes pas pire que le bétail humain en ce sens, ni aucun autre. Pourquoi nous chasser comme de la vermine alors qu’ils sont ceux qui ne sont rien de plus que des proies un peu difficiles? Bien entendu, je n’ai jamais rien contre un petit défi. Ça ouvre l’appétit et j’apprécie mon repas que davantage à la fin de la nuit.

Parlant de nuit. La lune a fait son apparition, remplaçant cet agressant soleil dans le ciel. J’aime la douceur de son éclat argenté, elle fait ressortir mes yeux. Vous ne trouvez pas? Ah bon… eh bien tant pis. Ça ne m’empêchera pas de me balader en cette merveilleuse heure, car mes veines palpitent et mon corps réclame du sang frais. Plus frais que celui que je possède déjà, bien sûr! Mes pas m’ont rapidement entraîné dans la forêt au pied de la montagne. Je ne faisais aucun bruit, faisant à peine remuer les feuilles à mon passage. Une odeur appétissante me guidait inconsciemment. Mes instincts de chasseurs étaient très bien développés, avec mes siècles d’expérience! Et c’est ainsi que je la vis. Plongée, nue, dans un lac reflétant ma lune adorée. Je l’observai longuement, jusqu’à ce qu’elle sorte de l’eau, se rhabillant et me menaçant d’une de ces armes primitives qui revenaient en force depuis le renouveau de leur race.

Perché du haut de mon arbre, accroupi sur une branche, je la toisai avec amusement. Comme si une de ces fléchettes pouvaient m’atteindre! Je me retins de rire, cependant. Ce ne serait pas poli. Je me contentai de la fixer, tentant de deviner son prochain mouvement. Ce serait briser la poétique de ce moment que de parler, du moins était-ce mon point de vue aristocrate. Je suis un artiste dans l’âme, que voulez-vous! Alors que faire de cette jolie proie? Car après tout, je ne pouvais nier qu’elle avait un certain charme. Certes, elle avait une allure un peu masculine, mais ses formes que j’avais pu observer ne laissait nul doute quant à sa féminité. Elle semblait farouche, ce qui ne ferait qu’agrémenter mon jeu. Mais pour l’heure, restons à nous fixer. Qui fera le premier mouvement?

Nos deux regards s’affrontaient en silence. L’un d’un bleu turquoise, vivant, l’autre d’un bleu de glace, froid. Mais aucun ne cédait à l’autre. Elle possédait une résolution bien à elle, semblait-il, et ne laissait aucune trace de peur la transpercer. Je peux le sentir, lorsque ma proie est effrayée. Ça m’amuse de jouer avec le cœur sensible des humains. Mais elle n’était pas n’importe quelle humaine, de toute évidence. Elle était de ceux qui aimaient se surnommer gardiens. À mes yeux, ils n’étaient que des humains un peu plus féroces. Rien de plus, mais rien de moins! Il serait bien intéressant de découvrir ce qu’elle cache comme particularité, car je suis au courant de ces soi-disant pouvoirs qu’ils possèdent et qui seraient en mesure de rivaliser avec les nôtres!! Quelle farce, vraiment! Mais laissons-les fonder de faux espoirs grâce à de faux héros, ils allaient mourir bien assez tôt. Ah les joies de l’immortalité!

Mais revenons-en à cette magnifique proie que j’ai sous les yeux. Mon amusement ne s’était pas amoindri face à cette attitude défiante, au contraire. Où serait le plaisir de se jeter sur quelqu’un déjà à mes pieds? Je préfère jouer au chat et à la souris. Et bien entendu, je suis le chat. Toujours. Elle n’était rien à mes yeux, sinon une distraction temporaire et un peu de sang frais. Je dois avouer que sur ce dernier point, je suis assez difficile. Comme un bon vin, j’apprécie un bon sang. Eh quoi, certains ne goûtent pas aussi bon, ce n’est que normal que tous ne soient pas de la même qualité! Qu’est-ce qui fait un humain un bon repas? Je dois avouer que je ne le sais pas moi-même. J’ai des doutes, bien entendu. Il me paraît logique que son alimentation influence la qualité de son sang, tout comme sa qualité de vie. En dehors de cela, je ne pourrais dire les facteurs exacts qui donnent ces différents goûts aux humains.

À son odeur humide, je pouvais deviner qu’elle serait un bon coup. Serait-elle un peu fruitée ou un légèrement poivrée? Ma faim me rendait impatient de le découvrir, mais ma maîtrise de soi est parfaite. Je ne bougeai pas d’un seul millimètre, attendant qu’elle se lasse. Le temps coule différemment pour les humains et leur patience n’est pas la même que la nôtre. C’est avec un brin de satisfaction, je l’avoue, qu’elle se remit en mouvement la première. Remettant en place une tresse de son impressionnante coiffure, elle avait resserré sa prise sur son arc.

« Que veux-tu? »

Mais quelle question ! La réponse n’est-elle pas évidente, mon cœur? Je veux ton sang, bien entendu. Je n’allais quand même pas réponde une telle stupidité. Je suis un aristocrate, tout de même! Ce serait bien impoli de sauter à table sans que la dame ait pris place. Il fallait que je l’amène exactement là où je la voudrais avant de passer à l’acte si délicieux d’enfoncer mes dents en elle afin de savourer le nectar de ses veines. Et pour cette raison, je souris brièvement avant de quitter mon promontoire. En quelques secondes, j’étais derrière elle. J’adoptai une attitude passive. Nul besoin de l’effaroucher, tout de même! Dire que j’étais sorti sans armes… enfin, si on ne compte pas mes armes naturelles. Mes mains savent être mortelles dans le besoin.

- Je ne désire qu’apprécier la lumière nocturne sur ton corps divin, très chère.

Je faisais référence à son bain nocturne qui m’avait bien plus. Une jolie proie ne faisait qu’ajouter un peu de plaisir à mes chasses nocturnes. Eh quoi, vais-je me satisfaire de laiderons pendant toute l’éternité? J’ai une préférence pour les jolis corps, comme bien de mes confrères. Qui peut nous le reprocher?

- Ai-je droit à un nom, beauté?

Je sais que ma voix peut-être chaude et sensuelle, enchanteresse. Souvent, c’est bien assez pour prendre mes proies dans un filet serré. Et les petits noms doux ne font jamais de tort, même lorsqu’ils se rebellent. Tout le monde aime se sentir important aux yeux d’un être extraordinaire comme moi.

La beauté prend plusieurs formes, du moins ai-je pu constater à travers les âges. La demoiselle ici présente n’était certes pas conventionnelle, mais son assurance en elle-même formait une base à cette beauté sauvage qu’elle semblait incarner. Elle n’était pas l’ordinaire poupée que j’ai si longtemps chassée dans les villes Européennes de l’époque renaissante ou la femme parfaite du 21e siècle qui attirait les regards des hommes alors. Cela empêchait-il qu’elle possède son propre charme? Du tout, mes chers. Du tout. Et elle me plaisait dans cette attitude indépendante dont elle semblait si fière. Elle savait exactement ce qu’elle faisait et je ne lui faisais pas peur, ce qui faisait du bien une fois de temps en temps. Mais je ne m’attendais rien de moins face à une « Gardienne de troupeau ». Toujours à l’affut, elle ne tomberait pas aussi facilement sous mes dents et elle se défendrait certainement, comme me l’indiquait gentiment la dague qu’elle pointait si agressivement vers moi.

« A ta manière de parler et à ton aura, je peux dire que tu es parmi les plus vieux. Cependant celui qui a perdu ses bonnes manières ici c'est toi, la moindre des politesses c'est de présenter en premier avant de demander son nom à quelqu'un... Mais dans un sens tu n'as pas tort, je me fiche de savoir qui tu es. »

Oh langue de vipère, petite demoiselle n’aime pas jouer? Elle reconnaissait mon aura et ma puissance, en cela au moins elle n’était pas stupide. Ses paroles vives ne me déplurent pas, au contraire, j’en fus amusé. Il était vrai que je m’étais dérobé à la principale des politesses, mais je n’ai pas l’habitude d’offrir mon nom à mes repas. Et comme elle disait qu’elle n’en avait rien à faire de ce nom, pourquoi m’embêter? Tout ce qui m’intéressait en réalité était le délicieux liquide qui coulait dans ses veines. Mais pas de sang, qu’elle me dit. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me le donne, car je prends sans demander la permission. À quoi bon? Ils me diraient tous non et je mourrais de faim. Rien de très intéressant. Il faut dire que j’ai connu une époque où certains de mes frères se promenaient parmi les hommes en toute liberté, étant adulés par des mortels qui tentaient de nous ressembler. Ils nous offraient leur sang gratuitement, avec le seul espoir qu’un jour, nous décidions d’en faire des vampires. Quelle folie, ils étaient si stupides… Mais mes frères ont abusé de cette belle époque et une fois que tous nos fans furent morts et enterrés, il ne restait que ceux qui nous détestaient, nous craignaient. Personnellement, je n’ai que très rarement pris part à ces groupes d’échangistes. Je préfère garder mes proies pour moi et celles qui s’offrent ne présentent que peu d’intérêt. Si je suis allé quelques fois, ce fut par curiosité pure.

Alors, à sa demande, je lui tournai le dos avec un demi-sourire et fit quelques pas, comme prêt à partir. Aussi facilement? Non. Il y avait un nouveau joueur et elle le sentait aussi. L’odeur était difficile à manquer, faut-il dire! Quelle puanteur… Je réprimai une expression dégoûtée et une fureur sourde qui montait en moi. Je pourrais les laisser seuls, mais la seule idée qu’elle soit souillée me dégoûtait. Elle était MA proie et je ne la céderais à personne. Surtout pas à une abomination telle que celle qui se cachait dans les buissons. Il croyait nous surprendre? Il ne savait pas à qui il avait affaire. J’entendrais le moindre projectile qui se dirigeait vers moi, j’entendrais le moindre bruit, j’entendrais la moindre respiration. Et il ne faisait certes pas attention à masquer sa présence.

- Elle est toute à toi, mon frère! lançai-je à cette horreur.

Et il en profita pour se jeter sur elle. Je tournai la tête, un bref sourire cruel sur les lèvres. Il était un monstre, comme je le soupçonnais. Il était un de ceux qui avait laissé la faim le consumer et qui s’était abreuvé d’un de ses frères. Et il était maintenant entièrement soumis à cette faim insatiable. Son corps commençait à se décomposer, puisqu’il perdait sa nature en se nourrissant des siens. Il avait été blessé et il puait le sang séché. Il ne prenait visiblement pas le temps de se nettoyer entre deux plats… Et moi, je le regardai se battre quelques instants contre la demoiselle avec un intérêt visible. Je n’avais pas envie d’intervenir immédiatement, mais je le tuerais de mes propres mains. Et afin qu’il souffre.

Je dois avouer que j’étais curieux quant à son style de combat, bien entendu. Mais après quelques instants, quelques coups, je disparu de l’endroit où j’étais calmement debout, les mains dans les poches. La seconde suivante, l’abomination se retrouva clouée au sol, une de mes mains sur sa gorge. Bien sûr, je n’oubliais pas la demoiselle qui se ferait un grand plaisir d’en profiter pour me couper la tête, mais si elle osait, j’étais prêt à l’esquiver. Mon autre main, elle, s’enfonça brusquement dans la poitrine du monstre. Je perçais sa cage thoracique et lui arrachai un grognement douloureux. Il ne pouvait crier, j’écrasais sa trachée sans merci. Je refermai mes doigts autour de son cœur mort et le lui arrachai. Il n’en mourrait pas. Pas immédiatement. Il n’était pas vivant, après tout. Et son cœur, je le jetai dans la forêt pour le laisser aux bêtes qui n’en voudraient probablement pas de toute façon. Mes ongles étaient peints de son sang impurs, et si cela avait été le sang de n’importe quelle autre créature, je m’en serais délecté, mais pas celui-ci. Je n’allais pas tomber dans la même disgrâce, toute de même!

Lorsque je relâchai l’horreur, elle se releva douloureusement, crachant du sang, et s’écrasa quelques mètres plus loin. Les deux mains contre le trou béant que j’avais laissé, elle se tordait de douleur sur le sol et je la regardais avec un vif plaisir. Meure, traître. Meure. Et enfin, lorsque l’abomination cessa de bouger, j’allais tremper mes mains dans le lac si pur afin de le salir de ce sang qui dégoûtait même moi. J’ignorais mon autre proie, celle qui était comestible, sans oublier les dards dont elle était pourvue. Ce ne fut qu’une fois propre que je me relevai et me tournai vers elle, passa une main dans mes cheveux soyeux. Je la regardai avec un certain amusement, curieux de savoir ce qu’elle ferait à présent.

Juste avant que la créature ne se rua sur elle, la jeune femme eut le temps de décocher deux de ses fléchettes dans un geste précis et rapide. Immobilisant un instant le pied du vampire décrépi au sol, elle lui jeta dans les yeux une poignée de terre qu'elle avait ramassé de son autre main. La diversion ainsi créée, elle s'écarta pour se dissimuler sur la branche d'un arbre un peu plus loin. De là elle pouvait voir ses deux assaillants. Si l'un semblait vouloir jouer les spectateur, Sil était suffisamment prudente pour ne pas l'oublier. Elle décida donc de se concentrer sur l'autre. Il semblait mal en point et affamé, ce qui était un avantage de taille. Cette difficulté qu'il avait à libérer son pied en était la confirmation.

La gardienne avait choisi ce lieu afin que l'autre ne puisse pas la retrouver grâce à son odorat. Le léger vent lui souffler de face mais n'était pas assez conséquent pour détourner de leur trajet ses armes de jets. Ses pupilles se fendirent pour mieux distinguer sa proie. Sans prévenir elle sortit de son repaire pour décocher deux flèches et le forcer à avancer. Ensuite accroupie, ses muscles fins se contractèrent pour mieux bondir dans les branches. Une fois qu'il fut sure qu'il avait mordu à l'appât, elle l'entraîna à sa poursuite avec toujours le même schéma. Elle eut le temps de lui envoyer plusieurs flèches et deux d'entre elles dans ses genoux, rendant ainsi les mouvements de la créature encore plus difficiles. Ce résidu de vampire perdait du sang sans même s'en rendre compte...

Alors qu'elle allait en finir avec tout ça, celui qui s'était fait oublié se mit en travers de son chemin. Elle s'immobilisa non loin d'eux et assista à la scène. Blasée par tant de cruauté, elle n'en fut pourtant pas surprise venant de celui qui se prenait pour un être civilisé. Ce n'était qu'un barbare de plus qui se prenait pour dieu tout puissant. Décidément il était bien orgueilleux à souhait. Pourtant ce n'était pas sa proie à lui, mais la sienne. Quand le corps se mit à rejoindre le sol, l'autre vampire sembla s'en désintéresser. Sil en profita pour finir le travail, d'un bond qui n'avait pas grand chose d'humain, elle se retrouva au dessus et lui arracha la tête. Du sang gicla sur son corps tandis que le vampire se putréfia sur le sol. Puis plus rien.

Elle se releva, toisant de ses yeux redevenus humains l'ancien. Le liquide plus que rougeâtre dégoulinait sur certains morceaux de sa peau, bien qu'elle avait déjà vu pire. C'est pour cela qu'elle ignora cette saleté. Qu'allait-il pouvoir bien faire à présent qu'elle était ainsi? Il avait eu l'air si rebuter par ce sang, cette odeur. Elle était persuadée qu'il l'a trouverait nettement moins à son goût. Une de ses flèches passa tout près de la joue du vampire pour se planter dans le tronc d'un arbre à plusieurs mètres de là. Une autre entre ses jambes. Elles avaient une odeur particulière, ancienne, imprégnée par un liquide d'un autre temps. D'une créature d'un autre temps.

La jeune femme savait que son vis-à-vis saurait de quoi il s'agit, s'il était aussi âgé que cela. Il s'agissait là en fait d'un mélange spécial et créé artificiellement par les humains d'avant le grand cataclysme et qui avait été conservé dans l'abri. Ces êtres, mi-humains, mi-loups, une seule de leur morsure causait de grands ravages. Après étude du dernier spécimen les scientifiques de l'époque avait conclu que c'était leur salive. C'était peu de choses d'en reproduire et de s'en servir comme arme.

« La prochaine sera la bonne si vous ne partez pas. »